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Les scribouilles

écriture (notes, roman, nouvelles, textes...) lecture et curiosités en partage

La canne

http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/8/8e/Charlie_Chaplin_1912.jpg?uselang=fr

 

Par Apeda [Public domain], via Wikimedia Commons

 

 

Objectivement, je ne crois pas qu’il aurait eu le même succès sans moi.


Je ne pense pas plus qu’il aurait pu accéder à un statut de légende de son vivant sans mon concours particulier et dévoué.


A une époque où son art encore débutant se réfugiait dans un mutisme conditionné par des balbutiements techniques, j’étais plus qu’un simple prolongement de ses 5 doigts, plus qu’un simple accessoire de pantomime, plus enfin que l’étai prétentieux d’une magnificence feinte.


J’étais une partie de son verbiage silencieux, le petit symbole de sa philosophie hilarante.


Grâce à moi, ses expressions transcendaient l’écran à la clarté tremblotante, les mots  se dessinaient  dans l’éther, ponctué d’un flambant moulinet en guise de parafe.


Sa main, qui me serrait nonchalamment,  avait le besoin impérieux de mon contact rassurant.

 


Il faut bien l’avouer, qui aurait parié le moindre shilling sur ce petit bonhomme à la jeunesse sordide, cet oiseau chétif et mal nourri, ce piaf des rues anglaises,  tout droit sorti d’un roman misérabiliste de Dickens ?


Ce petit anglais était bien mal engagé dans l’existence, voué probablement à rallier la foule compacte des traîne-misère, des loqueteux, des sacrifiés dès la naissance, étouffé entre une mère actrice au talent certain mais rongée par la folie et un père talentueux qui diluera son don dans les relents d’alcool.


Seul Sydney, son frère aîné, était parvenu à conserver la tête hors de l’eau boueuse qui submergeait les membres de cette famille de saltimbanques et cachetonnait avec un certain succès dans le music-hall.

 

Lui, le petit bonhomme, avait eu de l’ambition dès qu’il avait réalisé dans quelle impasse le siècle naissant précipitait les gens issus de son milieu. Il avait l’envie, le feu sacré brûlait nuit et jour dans le fond de ses yeux.


Il serait, oui, un jour il serait


Il serait respecté, il serait reconnu.


Il vouerait sa vie au plus beau métier du monde, celui qui permet d’émouvoir le cœur contusionné par les coups durs, il ferait éclater le rire dans les gorges serrées par une vie féroce. Il serait celui qui dépose une goutte de rosée sur les lèvres infirmes du monde pour y voir éclore un simple sourire.


Il chasserait les soucis - oh, rien qu’un instant fugace mais un instant quand même – qui font ployer les épaules des petites gens, croulant sous les efforts du labeur, abonnées à la débrouille, à la survie.


De la Grande-Bretagne à l’Amérique, tirant un trait ferme et assuré entre les deux bornes de sa destinée, il réfléchissait à la façon dont il accrocherait des étoiles au-dessus de ses pas.

Sa main enserrant le bastingage du Cairnrona assurant la traversée transatlantique, n’était-ce pas déjà moi qu’il tenait ?


Car, il ne le savait pas mais nous étions tous là !


La brume marine taillait sur son corps les contours d’une veste étriquée, la brise jetait le bâti approximatif d’un pantalon-sac destiné à vêtir un géant.


Les goélands raillaient un chapeau-melon et une paire de  godillots éculés, leurs silhouettes s’évanouissant dans l’écume.


Là-bas, il allait incarner le perdant magnifique d’une société asphyxiée par la  nouvelle misère née sous la couche de suie de l’industrie. Cette pauvreté briseuse d’espoir grandirait et éclaterait quelques décennies plus tard et serait le terreau de la plus grande expression d’inhumanité jamais connue sur Terre, celle de la destruction de l’Autre. Ce jour-là, il se dresserait encore et toujours pour dénoncer…


Le petit bonhomme se rêvait en suivant le cours des étoiles, au firmament, aspirant à la liberté,  prête à réaliser un miracle poétique.


Des moulinets de sa canne à la démarche loufoque élaborée patiemment, Charles Spencer Chaplin se révélerait sous les oripeaux d’un vagabond, d’un bon-à-rien malgré lui, gaffeur mais émouvant.

 


Et une partie de l’essence du génie artistique de Charlot était contenu dans mon bois, à moi, sa canne…

 

 

http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/9/93/Chaplin_City_Lights_still.jpg?uselang=fr

 

Par United Artists [Public domain], via Wikimedia Commons

 

 

 

 

 


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