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Les scribouilles

écriture (notes, roman, nouvelles, textes...) lecture et curiosités en partage

COMPTE A REBOURS (5ème partie)

Mathilde remit son Nokia à Josselin, se confondant en remerciement. Elle lui avait demandé de bien avoir l'amabilité de lui prêter son téléphone portable, juste pour prévenir son ex-mari d'aller récupérer les petits à l'étude où ils devaient impatiemment l'attendre depuis la fin des cours. Après tout, son ex habitait à deux pas de l'établissement et il pouvait bien se charger de lui rendre ce service pour une fois. Il avait maugréé pour la forme puis il avait fini par accepter. Cela lui permettrait de voir les enfants plus de temps que les week-ends et la moitié des vacances scolaires, il tempêtait assez contre le jugement du divorce à ce sujet.

Josselin proposa à ses autres compagnons d'utiliser son téléphone s'ils désiraient prévenir quelqu'un de leur situation puisque seul son portable semblait capable d'établir les communications à partir de l'espace clos de la cabine. Même si la qualité des appels était déplorable, c'était toujours cela qui les reliaient au monde extérieur. Les autres passagers déclinèrent sa proposition, préférant patienter plutôt que d'exposer une conversation personnelle à autant d'oreilles inconnues.


Depuis la bonne demi-heure qu'ils étaient enfermés ensemble à se regarder en chiens de faïence, ils n'avaient guère échangé de paroles.  Chacun s'évertuait à rester dans sa bulle virtuelle, priant secrètement pour que l'épreuve s'achève au plus vite. Ils s'impatientaient tous de plus en plus, rendus mal à l'aise par cette promiscuité dérangeante.

Brian avait fini par s'asseoir sur le sol de la cabine, les mains posées à plat sur ses jambes à demies repliées. Il se mit à tapoter une mélodie avec deux doigts, toujours dodelinant de la tête au rythme de la musique qui filtrait de ses écouteurs.

Ce gosse va finir avec une tumeur au cerveau à force d'écouter sa musique de sauvages. Ou au minimum avec une attaque cérébrale. Paul sentait l'exaspération monter en lui. Cécile se blottit contre lui et déposa un charmant baiser dans son cou.

« Je t'aime ! » lui murmura-t-elle à l'oreille.

Il lui sourit et lui prenant le menton entre deux doigts, il l'attira à elle pour l'embrasser sur ses lèvres sucrées.

Misère, ça va être juste pour retrouver Lucie à l'heure au restaurant...je ne vais pas être très crédible dans ma demande si j'arrive en retard... pas la peine d'escompter lui amener des fleurs si ça continue comme ça... Josselin consulta sa montre.

Sans compter le temps nécessaire pour sortir de la Tour - si le service de dépannage arrivait un jour - il lui faudrait encore regagner les transports, traverser la moitié de la ville avant d'arriver à son rendez-vous. Lucie allait le regarder avec des yeux qui en diraient long... quelque chose comme « tu es incorrigible, Josselin. » avec un air navré. Sa demande de vie commune tomberait à plat et il s'en voudrait à mort d'avoir gâché ce qui devait être l'un des moments cruciaux de sa relation amoureuse avec la jeune femme. Aurait-elle encore envie de s'engager avec un homme qui n'était pas capable d'arriver à l'heure au rendez-vous qu'il avait lui-même fixé, un homme qui lui avait imposé deux ans de relation quelque peu chaotique, mélange d'amour et de crises d'indépendance, d'épisodes de maturation douloureuse vers l'âge  adulte pour lui et de patiente attente pour elle ?

Son regard parcouru discrètement le visage de ses compagnons pour s'arrêter sur l'homme à l'attaché-case. Décidément, ce type était incroyable d'effacement. Il le fascinait presque bien qu'il se prit à éprouver une sorte de compassion, un sentiment pas loin de la franche pitié en le regardant.

Et toi ? C'est quoi, ton problème ?

L'homme n'avait quasiment pas esquissé un geste depuis qu'ils étaient captifs, il était resté là, immobile dans son loden usé, toujours aussi voûté, serrant toujours aussi fermement la poignée de sa mallette. Mis à part le fait que quelques gouttes de sueur perlaient au dessus de sa lèvre supérieure, on aurait presque pu le confondre avec un de ses mannequins de cire qui peuplaient les musées de Madame Tussaud's ou de Grévin.

Se sentant observer, l'homme releva ses épaules voûtées et son regard vide croisa celui de Josselin qui, se trouvant comme pris en faute, lui adressa un hochement de tête qu'il voulu cordial.

Un fantôme... ce type est un fantôme...


Soudain, ils perçurent nettement un bruit de vibration provenant du plafond de l'ascenseur puis ils entendirent une succession de petits coups métalliques. A n'en pas douter, l'équipe de dépannage était à pied d'œuvre et débutait les réparations de la cabine. Soulagés, ils se regardèrent, les uns avec un large sourire, les autres poussant un profond soupir. Ce n'était plus qu'une question de temps.

Les sons de martèlement résonnèrent encore pendant cinq minutes puis cessèrent aussi soudainement qu'ils étaient survenus.

Les passagers, confiants, s'attendaient à sentir la cabine se mettre en mouvement, le panneau lumineux se parer des lumières indiquant le passage des étages.

Au lieu de cela, le plafonnier se remit à clignoter plusieurs fois de suite puis s'éteignit totalement, les plongeant dans une obscurité inattendue. Une pâle veilleuse se mit en route et diffusant sa lumière ténue dans la cabine assombrie.

La lueur jaunâtre dessinait des ombres sur les visages, marquaient plus crûment les cernes et les orbites des passagers, comme un masque de théâtre antique inquiétant et inidentifiable.

La farce tournait court et menaçait de glisser de la comédie vers un registre bien plus effrayant, voir tragique.

Josselin s'aperçu alors qu'il avait retenu sa respiration depuis l'extinction du plafonnier et tenta d'aspirer une goulée d'air. Sa gorge était tant serrée qu'il eu du mal à déglutir. L'air rentrant dans ses poumons lui causa une désagréable douleur, comme si l'oxygène tentait de se frayer un chemin de force, écartelant ses bronches sur son passage. La sensation de picotements sur sa nuque le reprit, sournoise et lancinante et il ressentit jusque dans ses os que les événements s'annonçaient mauvais, terriblement mauvais.





Le Lieutenant sursauta sur son siège.


Non, ce n'est pas possible !

 

Le téléphone sonnait sur son bureau. Il eu du mal à en croire ses oreilles, tant il était désireux que cet appel ne fut pas réel. A peine cinq minutes s'étaient écoulées depuis le début de son attente. Seulement cinq petites minutes.

Pas bon, pas bon du tout... songea-t-il. Il regardait son téléphone sonner, incapable de prendre la décision de bouger. Décrocher le combiné risquait de le propulser dans une situation explosive. Ne pas décrocher le combiné le poursuivrait toute sa vie. Au bout de trois sonneries qui lui parurent durer des lustres, il rassembla assez de courage pour avancer sa main vers le combiné et décrocher. Il porta le combiné à son oreille et prononça d'une voix sourde : 

-          « Plissier, j'écoute...

-          Lieutenant, ici le poste de sécurité de la Tour Empereur. On a un problème...

Il ravala sa salive. On y était. Sans aucun doute.

-          Quel type de problème ?

-          L'équipe de dépannage est actuellement dans la machinerie où se situe le moteur de l'ascenseur numéro 23. Les hommes réparent mais il y a quelque chose d'étrange. Le circuit d'alarme a été coupé.

-          Pardon ? Comment cela, coupé ?

-          Les câbles reliant l'alarme auditive de l'ascenseur ont été arrachés.  Le circuit de caméra interne a été sectionné. On ne peut pas savoir ce qu'il se passe dans la cabine. On ne peut pas rentrer en contact avec les passagers.

-          Les passagers ? Quels passagers ?  Vous voulez dire qu'il y a des personnes dans la cabine ?

-          Oui, ce sont eux qui ont contacté la société de dépannage. L'un d'eux a joint la société grâce à son téléphone portable. »


Les pensées de Plissier se bousculèrent dans son esprit. A quoi pouvait bien rimer de couper du monde extérieur  les passagers d'une cabine d'ascenseur? Pourquoi prendre le parti de saboter un circuit audiovisuel d'alarme et de surveillance précisément sur la cabine numéro 23 ?


-          « Est-ce que vous pouvez me mettre en relation avec les dépanneurs ? Je veux suivre les opérations de remise en route.

-          Bien sûr, j'atteints bientôt la machinerie. Ne quittez pas, Lieutenant ... »


Plissier entendit une porte métallique qui se refermait en claquant, probablement celle du local technique qui abritait la robuste machinerie.

Son cœur battait la chamade, il pouvait percevoir le sang qui giclait avec force dans ses tempes. Il se força à respirer calmement, il avait besoin de tout son calme pour jauger la situation, réfléchir le plus sereinement possible à ce qu'il convenait de faire. Ce n'était pas le moment de partir en vrille, ce n'était pas son genre en tout cas, surtout pas quand il y avait des vies en jeu de l'autre côté du téléphone.


-          « Lieutenant, les dépanneurs me signalent qu'ils ont pu réparer la caméra, on va être en mesure d'avoir des images au poste de sécurité. Pour l'alarme, c'est impossible dans l'immédiat, les dégâts sont trop importants. Qui que ce soit qui a fait cela, il n'y est pas allé de main morte.

-          Et la cabine ? Est-ce qu'elle fonctionne ?

-          Plus qu'un instant, Lieutenant. Les dépanneurs vont la remettre en route dans quelques minutes. »


Plissier remarqua alors que sa main tremblait en tenant le téléphone. Quelque chose n'allait pas... ça ne collait pas du tout, c'était trop simple. Il était inconcevable qu'une personne, quelque soit son degré de malveillance et ses intentions, ait pris le risque de pénétrer dans le local technique d'une Tour archi surveillée, pour commettre un sabotage sur un circuit de vidéosurveillance et un moteur ne nécessitant pas plus de dix minutes de réparation.

Ou il avait affaire à un fou... ou encore à un incompétent ou alors... ou alors on voulait que le mécanisme soit remis en route facilement.


-          « Non ! Qu'ils ne touchent plus à rien ! »


Plissier avait hurlé dans son téléphone. Il était maintenant debout devant son bureau, le combiné toujours collé à l'oreille. Ses collègues, médusés, avaient interrompu qui leur travail qui leur conversations et le regardaient, interdits.

Un silence implacable régnait dans le service, tout semblait en suspension après la littérale explosion du Lieutenant.


-          « Qu'est ce qu'il se passe ici ? »

Le Commissaire venait de passer la tête dans le service, attiré par le raffut.

« - Plissier, ne me dîtes pas que c'est vous ? Mais vous êtes complètement dérangé ce soir, ou quoi ? Il me semblait pourtant que je vous avais demandé de rentrer chez vous et... »


Le Commissaire n'acheva pas sa phrase. Il venait de remarquer le visage totalement livide de son Lieutenant et s'en trouvait fort décontenancé. Il fronça les sourcils et s'approcha de Plissier qui après une grande inspiration d'oxygène intima l'ordre à son interlocuteur de s'éloigner du local technique et d'attendre les consignes.

Le Lieutenant raccrocha le combiné du téléphone et se tournant vers son supérieur, il lui demanda la faveur de pouvoir s'entretenir avec lui, en privé.

Le Commissaire lui fit signe de le suivre dans son bureau dont il ferma la porte derrière Plissier sitôt que celui-ci eut pénétré dans la pièce.

Les deux hommes prirent place chacun de part et d'autre du bureau, se retrouvant dans la même situation que peu de temps auparavant lors de leur dernier entretien.


«  - Vous vous sentez bien, Plissier ? demanda le Commissaire soucieux. Vous êtes pâle comme un mort ! »


Le Lieutenant rassura son supérieur, lui garantissant sa pleine santé tant physique que mentale puis il lui raconta avec forces détails tous les événements qui s'étaient déroulés depuis leur dernière conversation. Il hésita brièvement lorsqu'il du convenir qu'il avait pris la liberté de poursuivre ses investigations sur sa seule et intime présomption qu'il se passait quelque chose de fâcheux à la Tour Empereur. Il poursuivit sur le résultat de son contact au poste de sécurité, le suivi téléphonique du dépannage de la cabine d'ascenseur, la découverte de l'étrange sabotage. Enfin, il acheva son récit sur la conviction que quelqu'un, quelque part, espérait la remise en route de la cabine et ses possibles conséquences tragiques.


« - Et en conclusion, Plissier, quelle conduite pensez-vous que nous devons tenir devant cette situation ?

Plissier considéra le Commissaire avec des yeux ronds. La conclusion lui apparaissait pourtant comme étant des plus limpides et des plus évidentes. Il fallait agir dès maintenant, établir un périmètre de sécurité, envoyer une équipe spécialisée sur place.


-          Demandez l'envoi d'une équipe de démineurs ! »

balbutia-t-il, décontenancé devant le calme olympien de son supérieur.

Celui-ci lui faisait face, les mains jointes devant lui, le regard baissé, insondable.

Une longue minute, qui sembla durer des heures à Plissier, passa avant qu'il ne relève les yeux et campe son regard dans celui du Lieutenant. Il fit une moue ininterprétable et lâcha dans un souffle, comme à regret :


« - Plissier, en tout premier lieu, je constate que vous m'avez à nouveau désobéi. Je ne l'oublierai pas, faîtes-moi confiance. »


Le Lieutenant ouvrit la bouche mais, d'un geste de la main, le Commissaire le contraint fermement au silence.


« - Deuxièmement, votre histoire cumule assez de points sensibles et alarmants pour que je contacte le service ad hoc et que nous prenions une décision sur la prise en charge de cette affaire. »


Plissier sentit soudain ses muscles se détendre, comme si toutes les terminaisons nerveuses de son corps venaient d'évacuer leur trop plein d'énergie au même moment.


« - Troisièmement, j'espère vraiment, dans votre intérêt, que vous ne vous trompez pas, Plissier. Du moins, si vous voulez avoir encore un semblant d'avenir dans les services de la D.S. T.

-          Oui, Monsieur, je l'espère aussi... je veux dire, j'espère sincèrement avoir un avenir à la D.S.T. » bafouilla Plissier.


Il se sentait totalement pris au dépourvu par l'allure que prenait ce début de soirée.

Lui qui s'apprêtait il y a peu à regagner tranquillement son domicile se retrouvait plonger jusqu'au cou dans une affaire qui s'annonçait sous les plus mauvais auspices.

Et pas seulement parce que la situation sentait l'explosif à plein nez mais aussi et surtout par ce qu'il comprenait que sa propre position reposait sur un baril instable de nitroglycérine.

 

Entre deux explosions, je choisis laquelle ? songea-t-il ironiquement.


Il regagna son bureau sur ordre du Commissaire qui devait maintenant s'astreindre à suivre la procédure de gestion de ce type de situation, ce qu'il faisait sans rechigner, lui au moins.

Plissier connaissait cette procédure par cœur.

Le Commissaire allait prendre contact avec les membres du service de déminage, leur donner le maximum de renseignement sur les circonstances et la découverte du risque - cela inclurait nécessairement d'évoquer le rôle tenu par le Lieutenant - afin qu'ils puissent envisager la méthode la plus efficace avant même de se rendre sur place.

Quant à lui, il n'avait plus qu'à attendre les ordres patiemment et se préparer à faire preuve de son légendaire professionnalisme, probablement sur le terrain,  du moins l'espérait-il, là où il excellait.




A SUIVRE....


 

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N
Salut Sandrine,<br /> <br /> Ca fait vachement plaisir de voir que tu mets a profit tous tes talents et connaissances. C'est vraiment interessant, meme si ca fait un peu "fouillis", mais de toute facon c'est bien pour cela ca s'appelle "bric a brac". En resume, c'est super, on n'a pas le temps de s'ennuyer car il y a beaucoup d'infos interessantes. <br /> A+ ma belle.<br /> Bonne continuation.<br /> Nath
S
<br /> Coucou Nath!!!<br /> Contente de retrouver dans mon antre...<br /> Et oui, ça fait fouillis, c'est un peu ce que je reproche au système "blog" mais il y a les catégories pour se repérer... même moi, j'ai parfois du mal :o) J'ai voulu faire un site web pour le côté<br /> plus ordonnancé mais j'ai été prise d'une grande flemme!<br /> A bientôt, j'ai bien tes mails en souffrance, à répondre!!!<br /> <br /> bises<br /> <br /> <br />