21 Janvier 2009
Tu n'étais pas là...
2008
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Je sais.
J'aurais du descendre du train Corail Intercités comme convenu, en gare de Rouen Rive Droite.
J'aurais du marché sur le quai, d'un pas pressé, pour gagner l'extérieur et respirer l'air de la ville.
Le long trajet dans le compartiment m'aurait engourdie, quelques pas dans les rues m'auraient fait le plus grand bien.
J'aurais du aller directement à l'adresse du rendez-vous, comme il était prévu.
Je sais. J'aurais du.
Mais, à l'annonce de l'approche de la gare, je ne savais plus rien.
Mémoire vidée, effacée, formatée.
Juste que je n'avais plus qu'une envie : continuer la route, continuer à suivre les rails vers ce que je ne connaissais pas encore.
Qu'allais-je trouver ? Que pouvait-il y avoir au-delà du chemin ?
Toi ? Moi ?
Une chance de gagner enfin au grand jeu cruel ?
Et après ? Qu'est ce qu'il y aurait ?
Les portes du train se sont refermées. J'ai écouté l'annonce du départ dans une brume auditive, déconnectée.
J'ai regardé défiler les gares, tour à tour petites et charmantes, tour à tour froides et distantes.
Le siège à mes côtés était resté vide depuis Paris.
Tu n'étais pas là.
Gare d'Yvetot.
Gare du Havre, le train était arrivé à son terminus.
Bien forcée de descendre : les trains ne traversent pas les mers ni ne sillonnent les cieux. On leur a rogné les ailes, probablement un jour de colère.
J'ai alors gagné le quai, sautant prestement les dernières marches en fer du wagon.
Je me suis tournée de tous côtés, scrutant le quai et les passagers esseulés ou accueillis par des sourires et des accolades affectueuses.
J'ai patienté un peu et, résignée, je me suis rendu à l'évidence : tu n'étais pas là.
Peut-être m'attendais-tu au café jouxtant la gare, frigorifié de rester statique dans le froid de cet hiver qui n'en finissait plus ?
Je suis entrée dans l'établissement et j'ai commandé un « expresso bien serré, pas de sucre et avec un verre d'eau, merci » et j'ai attendu.
J'ai trouvé le temps long, très long, trop long et j'ai compris... tu ne serais pas là non plus.
Je n'avais plus qu'à repartir à ta recherche en faisant confiance à mon instinct pour te retrouver dans cette ville inconnue.
Les cris des mouettes, l'air iodé, les rues menant à une destination secrète connue de toi seul... comme tout cela était excitant !
Avais-tu décidé d'un parcours initiatique pour me permettre de connaître la vérité et enfin, faire ta connaissance ?
Une avenue, une rue, une impasse, il fallait faire demi-tour, prendre ce boulevard et continuer, droit devant, vers la grève.
C'était ici.
J'ai observé les galets ronds, la plage désertée, la mer grise qui se confondait au loin avec la couleur uniforme du ciel.
J'ai regardé, écarquillant les yeux à m'en faire mal, priant pour ne négliger aucun détail, aucun témoignage de ta présence en ce lieu.
Mais tu n'étais pas là.
Il me fallait encore avancer, aller plus loin pour mériter de savoir et te rencontrer.
J'ai retiré mon manteau que j'ai soigneusement plié sur le sol irrégulier de la plage. J'ai posé mon portable à côté, coincé entre deux gros galets à la teinte anthracite.
Je suis entrée dans la mer, prudemment, frissonnant sous l'assaut des vagues glaciales.
Les yeux baissés, j'ai observé, curieuse, l'eau atteindre ma taille, le corps engourdi par le froid.
J'ai levé les yeux lentement, le cœur subitement enflammé.
J'étais arrivée au bout du périple.
Je savais tout dorénavant.
Je savais que j'allais voir ta main tendue vers moi, tes yeux rieurs et ton sourire malicieux.
Tu étais là.
Enfin.
FIN