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Les scribouilles

écriture (notes, roman, nouvelles, textes...) lecture et curiosités en partage

Sabbat, 4ème partie

Monarque sûr de son pouvoir absolu et sans partage, je trottai de mon pas souple dans la clairière, m'enivrant d'une sensation délicieuse  de plénitude.


Du bout de mes sabots jusqu'à la pointe de mes bois en passant par mon pelage mordoré et soyeux, tout mon être inspirait la force et le respect.


Personne ne s'emparerait de ma ramure comme d'un vain trophée sans que je ne défende âprement ma vie.


Vous approprier mes bois ne vous conférerait pas une once de ma force ni de ma supériorité... quand donc le comprendrez-vous ?

Admettez vos faiblesses, soyez honnêtes, pour une fois...


Mes pas me conduisirent vers l'amas de pierres qui signait le lieu de tenue du Sabbat.


Le feu finissait de mourir dans ses braises rougeoyantes, diffusant à peine assez de chaleur et de luminosité pour attirer les papillons de nuit.


Leur ballet éperdu les entrainait dans la spirale de l'air chaud qui s'élevait encore du brasier expirant, faute de soins.


La vieille femme avait déserté les lieux, aucun indice ne pouvait m'annoncer son hypothétique retour en cet endroit.


Elle m'avait laissé me confronter avec la vérité que j'étais venue chercher auprès des forces païennes de la Nature. 


Elle avait tenu sa promesse... que lui demander de plus... que lui reprocher maintenant que je savais et que j'avais vu et vécu?


« Vas et reviens si tu le peux. »

 

Sa phrase résonnait dans les méandres de mon esprit humain incarné dans la plus authentique des forces animales.



« Reviens si tu le peux. »

 

« Reviens. »


J'étendis mon grand corps musculeux dans l'herbe humide.


La clarté lunaire jouait dans mes bois et les parait de ses longs lambeaux de lumière aux reflets argentés.

Le disque parfait de l'astre se reflétait sur mes yeux sombres, miroirs de mon âme dont le tain s'était dilué cette nuit, au point de me laisser pénétrer dans l'outre-monde.


Dans quelques instants, la nuit du Sabbat allait prendre fin.

Dans quelques instants, le monde, coupable d'une outrageuse incurie envers lui-même, allait reprendre ses droits.


Dans quelques instants...


Je sombrai dans un flottement étrange venu du fond des âges, une langueur hypnotique s'emparant de moi.




Le soleil entamait son ascension derrière les grands arbres qui bordaient la clairière lorsque je commençais à reprendre graduellement conscience de mon être.


La brume matinale relâchait son étreinte, découvrant délicatement la vie qui s'éveillait, encore à demi camouflée sous  sa couverture protectrice.


Dans la clairière, goupil musardait déjà, à la recherche d'une proie facile à se mettre sous la dent.


Je tremblais de tous mes membres, les muscles douloureusement tétanisés.


J'avais été saisi dans mon sommeil par le froid de ce petit matin hivernal.


Mes habits étaient imprégnés d'une humidité qui m'avait transpercé jusqu'aux os.


Je m'agenouillai auprès du feu mais je ne pus que constater avec dépit que les cendres étaient froides depuis bien longtemps.


Au loin, le renard s'arrêta, figé en une statue rousse tout sens tendu vers moi, puis il déguerpit prestement comme poursuivi par tous les diables de la création.


Je soufflais dans mes mains pour tenter de les réchauffer.


La chaleur de mon souffle me procura un peu de bien-être vite estompé par la désagréable odeur de vase qu'exhalait ma peau humide.


Sous mes ongles, de larges trainées de boue trahissaient les événements de la nuit passée.


J'approchais une main tremblante de mon visage et, sous mes doigts, je suivis le tracé d'une profonde entaille qui reliait en une ligne médiane mon front à mon menton.


Une plaie encore sensible au toucher causée par une serre de rapace.


La marque indélébile du Sabbat.


FIN


Influence musicale d'écriture :  link

(la musique de Jeff Buckley, pas la série!)

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