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Les scribouilles

écriture (notes, roman, nouvelles, textes...) lecture et curiosités en partage

COMPTE A REBOURS (11ème partie)

« - ça m'est arrivée une fois de me retrouver enfermée longtemps. J'étais chez mes parents et j'avais désobéi. Ils m'avaient dit de ne pas aller seule dans la cave, que je ne pourrais pas rouvrir la porte mais je ne les ai pas écoutés. Ils m'ont retrouvée au bout de deux heures, complètement affolés ! J'avais sept ans et je n'avais vraiment pas pensé à ce qui pouvait arriver, j'étais trop curieuse. Si mes parents m'interdisaient l'accès à la cave, j'étais sûre que c'était car il y avait des choses très intéressantes. Au lieu de cela, j'y ai trouvé des vieux meubles cassés, des valises, des vêtements démodés... j'ai été bien punie et ils m'ont privée de télé tout un week-end ! »

Mathilde acheva son récit d'un air contrit sous les sourires amusés des passagers qui appréciaient  ce court moment où ils avaient pu échapper à leur condition d'enfermement.


Installés tous les six en rond, à même le sol, ils formaient une sorte de cercle rappelant les anciennes veillées autour du feu où les aînés contaient les vieilles légendes s'amusant à effrayer les plus jeunes.

Ils recréaient ainsi une sorte d'intimité, un réseau de communion entre leur solitude et la chaleur les emplissait à se découvrir et à se parler. Même Brian, après une longue hésitation, avait fini par se  mettre au diapason de ses compagnons et avait abandonné sa musique tonitruante.

Seul, encore et toujours, l'homme à l'attaché-case demeurait cloîtré en lui-même même si un vague sourire passait fugacement sur ses minces lèvres scellées.

Ce fut Josselin qui prit ensuite la parole, désireux d'oublier au plus vite l'altercation qui lui avait valu une si douloureuse prise de contact avec ses homologues masculins. Il n'était pas quelqu'un de rancunier et il ne songeait à aucun moment à se venger du coup dont il avait aussi injustement écopé et, à ses yeux, seule était maintenant acceptable l'instauration d'un climat pacifique et serein. Mieux valait pour tous de se sentir souder dans l'adversité et de tisser des liens même s'ils n'étaient voués qu'à demeurer éphémères.


« - Puisqu'on va encore passer un moment ensemble, je vous propose qu'on se présente. Qui veut commencer ? »


Chacun scruta son voisin, à la recherche d'un signe imperceptible qui désignerait le volontaire de cet exercice quelque peu déroutant.

Mathilde jeta un coup d'œil circulaire puis elle leva une main timide.


« - Je veux bien commencer mais je ne sais pas trop quoi dire... »

Elle émit un charmant rire cristallin pour cacher son trouble puis, cherchant ses mots, elle reprit :

« - Il n'y a pas grand-chose à dire. Je m'appelle Mathilde, j'ai 35 ans. J'élève seule mes 3 enfants depuis mon divorce. J'ai deux garçons et une fille, tous les 3 adorables ! J'habite en banlieue est, dans un petit immeuble et je viens tous les jours à la Tour Empereur où je travaille comme assistante commerciale depuis 5 années.  Voilà, c'est tout...

- Et vous aimez quoi, dans la vie ? demanda Brian.

- Oh, j'aime le cinéma, la lecture... mais je manque de temps pour ça. En fait, j'aimerai beaucoup apprendre à jouer du piano. Je n'ose pas me lancer, je ne viens pas d'une famille où les loisirs ont beaucoup d'importance. C'est comme ça. ..


Mathilde semblait perdue dans ses pensées, se remémorant ce passé qui avait encore tant de prise sur sa vie actuelle.  Oh oui, elle venait d'une famille très moyenne, qui ne donnait crédit qu'aux valeurs du labeur et de la famille. Aussi, lorsque Mathilde avait émis le souhait de faire des études, ses parents avaient tiqué, désireux de la voir suivre la ligne habituelle de l'entrée dans la vie active à sa majorité. Elle avait du bataillé ferme pour parvenir à un compromis avec ses géniteurs. Elle ferait des études supérieures courtes et elle avait donc pu s'inscrire pour suivre le cursus d'un B.T.S. de commerce. Bien qu'une certaine frustration la tenaillait de ne pas suivre la voie de camarades plus chanceuses qui s'envolaient pour des études en université, elle s'estimait relativement heureuse d'avoir pu réaliser la moitié de ses objectifs. Fraîchement diplômée, elle avait cumulé des courtes périodes en entreprises jusqu'à réussir à se stabiliser dans un poste fixe. Et c'est là, qu'elle avait rencontré celui qui allait devenir son mari. Jeune commercial plein d'ambition, il avait demandé sa main au bout d'une année de cour assidue. Leur premier enfant était né assez rapidement et Mathilde bataillait ferme pour faire admettre à sa famille qu'elle désirait et qu'elle avait les capacités de mener de front vie professionnelle et vie familiale.

Puis, un deuxième enfant était venu s'ajouter à leur famille naissante. C'est à cette époque que son conjoint avait débuté ses relations extraconjugales, se sentant trop enfermé dans sa vie familiale et ses responsabilités de jeune père. Ses collègues, pour la plupart encore de joyeux célibataires, ne manquaient pas de l'entraîner dans leurs frasques et il suivait, heureux de jouer encore à l'insouciant en toute discrétion pensait-il. Malheureusement, Mathilde comprit bien vite ce qui se tramait derrière les repas d'affaire, les réunions tardives et les soi-disant séminaires à l'autre bout du pays. Après quelques discussions orageuses, il résolut de s'amender et elle lui donna une chance, désireuse de sauvegarder son couple et de préserver ses enfants, à l'avance mal à l'aise en imaginant les commentaires acerbes que ne manqueraient pas de provoquer l'annonce d'une séparation. L'arrivée de leur troisième enfant ne pouvait que ressouder leur couple, du moins tentait-elle de s'en persuader. Ce ne fut pas le cas et après une séparation d'une année, le divorce fut prononcé aux tors exclusif du mari qui avait déjà entreprit de rebâtir une nouvelle relation.

Blessée, meurtrie, Mathilde se reconstruisait doucement, soucieuse d'offrir une stabilité et un avenir optimiste à ses enfants...

Alors, ses ambitions personnelles, le piano... tout cela n'était qu'un doux rêve dont l'évocation lui procurait un peu d'évasion.


Un silence pudique régnait dans la cabine.

Tous se taisaient, les paroles de Mathilde résonnaient dans leurs esprits, rappelant des souvenirs douloureux pour certains, de la compassion pour d'autres.

Paul, plus particulièrement, se sentaient touché par l'histoire de Mathilde si semblable à ce qu'il vivait mais à un important détail près : lui, avait toujours su préserver sa femme, qui demeurait et demeurerait l'objet de tout son respect. Non pas qu'il ne respecta pas ses conquêtes mais il faisait une différence qui pouvait paraître douteuse aux yeux de personnes extérieures mais qui témoignait de son échelle de valeurs toutes personnelles.

Sa femme était intouchable, elle était l'épouse légitime, la mère de ses enfants et ses conquêtes étaient très vite au fait de leur situation subalterne.

Soit elles acceptaient de s'accommoder de cet état, soit il mettait fin à la relation. Les choses étaient claires dès le début.

C'était aussi simple que cela !

Enfin, avec Cécile, il s'était montré un peu trop lâche, trahissant pour la première fois sa ligne de conduite d'avec ses maîtresses.


Josselin était à mille lieux de la discussion.

Bien malgré lui, le malaise l'avait repris et il sentait à nouveau les désagréables picotements parcourir sa nuque. Son épiderme se couvrait d'une sueur glacée et il frissonna sous la sensation.

Les sens exacerbés, son attention fut attirée par un bruit de frottement quasi inaudible qui semblait provenir de la paroi située à sa droite. Il hésita un moment à confier sa découverte à ses camarades puis, ne percevant plus aucun son, il décida qu'il valait mieux se taire plutôt que de provoquer un quelconque malaise dans les esprits.

Ou pire, un espoir qui s'avèrerait infondé...

La relative relation emprunte de bonhomie qui se tissait entre les passagers était trop précieuse, il fallait à tout prix la préserver jusqu'à leur libération.

Il serra puissamment ses mains l'une contre l'autre, à s'en faire mal, les jointures blanchies sous la pression, les veines saillantes mais cette douleur volontairement infligée lui offrit un exutoire salutaire pour l'aider à chasser l'angoisse.

Retrouvant assez de calme et de sérénité, il pu, au prix d'un immense effort, se concentrer de nouveau sur l'aimable  conversation des passagers.



A SUIVRE...

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